Carnet de route

Le presque Balmhorn à presque 0 carbone
Le 24/08/2024 par Nicolas, Olivier, Loïc, Hélène F, Hélène P, Lionel et Pierre
La genèse du projet
Par Nicolas Trappler
Janvier 2024 : c’est la période des bonnes résolutions ! La commission Montagne et Environnement du Club Alpin Français de Belfort décide de constituer un groupe de travail. Le but est simple : lancer une réflexion globale sur les thèmes de la protection du milieu montagnard et passer à l’action. Nous nous retrouvons une fois par trimestre afin de lister, prioriser et faire avancer les sujets de cette cause qui nous tient à cœur.
En parallèle, nous recevons un appel à projet de la Fédération dans le cadre de l’action « Que La Montagne est Belle 2024 », dont le thème cette année est la réduction de notre empreinte carbone. Un vaste sujet qui nous concerne tous, notamment dans la pratique de nos activités de montagne.
Lors de la seconde réunion de notre groupe de travail, la discussion s’engage. Que pouvons-nous proposer ? Essayons d’être créatif et original… Très vite, le sujet d’une sortie en montagne sans voiture se dessine. Mais une fois de plus, nous sommes dans le cliché des discussions sur les émissions de gaz à effet de serre, où seuls les transports sont pointés du doigt.
C’est à ce moment précis que la force d’un travail en équipe porte ses fruits. Chacun apporte sa contribution à la genèse du projet. « Nous devrions faire une sortie avec bivouac afin d’éviter d’utiliser des infrastructures ravitaillées par héliportage. Les refuges sont utiles et nécessaires, mais essayons de limiter leur utilisation et cela sera aussi un bon moyen de se reconnecter à la nature ». L’idée est approuvée et nous montre que le champ des actions est bien plus large que les transports.
Très vite, les enseignements des différentes « Fresque Du Climat » réalisées au sein du club sont repris. « Nous devons prendre en compte l’aspect de l’alimentation, en proposant un repas végétarien, c’est le deuxième poste d’émission en France ».
La touche finale concernera l’équipement qui sera loué, prêté ou réparé.
Nous voilà prêt à répondre à la Fédération en proposant un projet de sortie très bas carbone. Notre but sera de démontrer au plus grand nombre que la pratique de nos activités de montagne n’est pas incompatible avec les objectifs de neutralité carbone.
Mais pour faire ce chemin, la première étape reste la sensibilisation aux phénomènes du changement climatique, la compréhension des chiffres clés, ainsi qu’une réflexion personnelle et collective. C’est exactement ce que nous essayons de mettre en place au sein du CAF de Belfort. Ce sujet est passionnant, même s’il reste angoissant. Alors, si vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à participer à une « Fresque Du Climat » ou à un « Atelier 2 Tonnes » proposés par le Club.
Si vous souhaitez vous impliquer au sein du Club ou si vous avez des idées à nous partager, n’hésitez pas à prendre contact avec nous (nicolas.trappler@gmail.com). Nous en sommes au commencement de notre chantier, la liste des sujets est déjà très longue, mais notre équipe est motivée. Et je crois très sincèrement que la sortie au Balmhorn qui va vous être décrite ci-après a fait grandir encore plus notre motivation.
Balmhorn Express ou deux jours en un
Par Olivier Pohl
Il est classique de se demander si la sortie doit être maintenue ou reportée. Pour notre sortie au Balmhorn, les prévisions annoncent une importante perturbation le dimanche, mais le samedi semble idéal. C’est à ce cas de conscience que nous sommes confrontés lors de notre réunion de préparation au local. Après un rapide tour de table, le report de la sortie à une date ultérieure semble compromis pour cette saison. « Mais pourquoi ne pas anticiper le départ ? » propose Lionel. En voilà une bonne idée ! Comme notre sortie ne dépend d’aucune réservation, nous allons profiter pleinement de notre réactivité et partir dès le lendemain soir pour une sortie complétement décalée !
Le compte à rebours commence, le départ est prévu dans moins de 24 heures ! Les questions matérielles et d’organisation sont vites réglées, nous optimisons au maximum le matériel et le repas principal en commun. Chacun préparera son sac le soir même.
Nous prenons le train le vendredi soir à Boncourt à 18h23 et arrivons à Kandersteg à 21h39. La randonnée d’approche débute donc de nuit, dans une ambiance peu commune, à éviter la foule de crapauds qui ont pris possession du sentier. Puis nous atteignons l’aire de bivouac « du renard » (voir ci-après) à 1850m vers minuit après 700m de dénivelé positif.
Après une courte nuit et un réveil à 4h, le bivouac est rapidement plié. Nous attaquons les 1900m de positif vers le sommet, en mode « léger » car nous avons caché tout notre matériel de bivouac dans la montagne. 1900m, ce n’est pas négligeable, d’autant plus que nous avons déjà 700m dans les pattes ! Nous progressons moins vite qu’escompté, la neige est encore bien présente et nous chaussons les crampons sur les premiers névés, dès 2600m. Nous atteignons le col très esthétique de la Zackengrat vers 10h et poursuivons jusqu’à une antécime à 3211 m où un Gypaète vient nous survoler. Quelle récompense !
Le sommet est au bout de l’arête, 400m plus haut mais nous préférons rebrousser chemin car le retour est long. Chacun est déjà très satisfait de l’ascension. Se retrouver aussi haut en si peu de temps est un bel exploit ! « Le bonheur n’est pas au sommet de la montagne mais dans la façon de la gravir », nous enseigne Confucius.
La descente est rapide. Vers 14h nous rejoignons nos sacs de bivouac. Le retour jusqu’à Kandersteg est tout aussi express, il nous faudra 2 heures pour descendre et rejoindre la gare au pas de course, juste à temps pour le train de 17h15. Enfin un peu de repos !
« Eh les amis, vous vous rendez compte qu’il n’y a même pas 24 heures, nous prenions le train à Boncourt ?! »
Ce Balmhorn Express aurait bien sûr été préférable sur deux jours, mais la fréquence des horaires des trains suisses, notre autonomie et les bonnes conditions physiques de mes coéquipiers nous ont permis cette incursion en haute montagne « en décalé ». Et pour une fois, on a eu tout le dimanche de libre… pour se reposer. Merci à mes coéquipiers
Une Aventure au bout du quai
Par Loïc Mairot
C’est avec un grand enthousiasme et une partie d’excitation que nous partons tous les sept pour cette aventure bas carbone en alpinisme, le but est plus de démonter la faisabilité de ce type de sortie que le sommet lui-même.
Avec le changement de programme dû à la météo, heureusement que nous n’avions pas encore acheté nos billets de train. Le train nous permet de voyager avec de bons moments de convivialité, des beaux paysages, en prenant le temps de vivre. Le bilan de cette expérience nous prouve à tous qu’avec de la volonté nous pouvons, même avec des imprévus de dernière minute, vivre notre passion de la montagne en la préservant à notre façon. La fréquence des trains suisses nous a permis de la souplesse malgré les imprévus. Le train réduit aussi le risque d’accident liés à la fatigue après une grosse sortie. Enfin, il émet 100 fois moins de gaz à effet de serre qu’un véhicule thermique.
Actuellement, le point noir pour ce type de sortie est le coût (150 euros par personne) qui est bien supérieur à un déplacement en voiture ou minibus. Il faudra que les pouvoirs publics et les associations prennent le problème à bras-le-corps pour favoriser ces mobilités douces.
Bivouac et alimentation
Par Hélène Faure
Tenter l’ascension du Balmhorn depuis Kandersteg d’une seule traite nous semblait un peu ambitieux. Après 3h de marche nocturne, nous installons notre bivouac sur un terrain herbeux, moelleux et relativement plat où l’activité est autorisée. Après 3h de sommeil, il est temps de prendre un rapide petit déjeuner et de remballer les tentes. Ni vu, ni connu, nous ne laissons aucune trace de notre passage. Pas de déchets, pas de feu et le moins de bruit possible pour ne pas déranger les animaux. Avec une si courte nuit, l’herbe n’a même pas eu le temps de se coucher sous le poids de nos tentes !
En France, l’alimentation est le 2ème poste le plus émetteur de gaz à effet de serre (24%, juste derrière les transports). Comme nous privilégions les modes de déplacements doux et le bivouac, on continue sur notre lancée pour le repas que nous cuisinons après l’ascension. Près de la moitié des émissions de l'alimentation est liée à la consommation de viande (énergie et ressources nécessaires à sa production, émissions de méthane, eau), nous préparons donc un repas végétarien. Au menu, un dal-bat, plat typique des régions himalayennes et notamment du Népal : semoule, lentilles et petits légumes de saison aux épices indiennes. Un plat équilibré, nourrissant (riche en protéines végétales, en glucides et en acides aminés essentiels), facile à cuisiner sur nos réchauds et surtout délicieux !
Le matériel : prêter, louer, réparer
Par Hélène Peyrard
Un autre axe pour limiter notre impact lors de cette sortie concernait le matériel. Chaque année, en France, 88 000 tonnes de produits sportifs et outdoor sont jetées et une grande partie n’est pas recyclée (source : Ademe). De manière générale, le coût environnemental de l’industrie du textile est lourd : c’est le 3ème secteur consommateur d’eau dans le monde, responsable de l’émission de 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre (soit plus que les vols internationaux et le trafic maritime réunis) et source de nombreuses pollutions. De plus, le matériel qu’on utilise est encore souvent produit à l’autre bout du monde.
Alors, comment limiter notre impact ? Pour cette sortie, Pierre et moi avons loué des crampons au club, pour un prix modique (4€ la paire). En dehors des sorties au programme, il est possible de louer du matériel à Sports Loisirs Equipements. C’est ainsi qu’Hélène F. a loué des chaussures d’alpinisme quand elle a débuté cette activité, puis les a acheté d’occasion. Nous nous sommes aussi prêtés du matériel entre nous (sac de couchage chaud par exemple, grâce à Loïc qui est très bien équipé).
Nicolas, quant à lui, a opté pour la réparation. Il avait fait recoudre ses chaussures chez un cordonnier à Belfort et avait réparé son sac à dos grâce à du matériel disponible chez SLE. Il existe de plus en plus d’ateliers de réparation (indépendants ou liés à des marques) pour faire durer le matériel plutôt que de le jeter. A Belfort, chez SLE, il est possible de faire ressemeler ses chaussures ou chaussons d’escalade (testé et approuvé !).
Imprévus, épisodes 2 et 3 : renard et maladie
Par Lionel Jach
Le premier imprévu de cette aventure a surgi avant même qu'elle ne commence, du fait de la météo. On peut dire que c’est un imprévu bien contourné ! Mais il ne sera pas le seul !
Au réveil samedi matin à 4h, Nicolas semble être perplexe : il ne trouve plus son sac isotherme violet qu’il avait pourtant posé là, c’est certain ! Nous aidons tous à éclairer les environs avec le faisceau de nos frontales, mais aucune trace. L’enquête avance lorsque Pierre nous raconte avoir dû repousser un renard curieux durant la nuit : la preuve en sont les traces de dents sur sa poche à eau, qui maintenant fuit. Nous avons donc trouvé notre suspect. Malgré l’absence d’interpellation, d’objet volé retrouvé, et de jugement en bonne et due forme, nous déclarons le suspect coupable.
Autre imprévu, après avoir caché les affaires inutiles à l’ascension dans le bosquet, je commence à avoir des nausées. La bonne humeur et le sourire que j’ai habituellement disparaissent, et je me demande à quoi cela est dû. On ne saura jamais pourquoi je me suis senti mal, mais j’ai dû abandonner le groupe au lieu-dit du bivouac. Je ne voulais pas aller au bout de mes forces ou mettre en danger le groupe.
Découverte de l’alpinisme
Par Pierre Ranc
Habitué des sentiers de randonnées, du trail en montagne, et fervent lecteur de la revue La Montagne et Alpinisme, je me suis souvent donné envie pour une évasion à de plus hautes cimes.
Un matin, je découvre un mail du CAF Belfort pour annoncer l'organisation d'une sortie alpinisme zéro carbone. L'objectif ? Montrer que l'on peut concilier plaisirs montagnards et faibles émissions. Préoccupé par le dérèglement du climat, c'est tout naturellement que j'ai sauté sur cette occasion qui cochait toutes les cases.
Après l’arrivée à Kandersteg, les frontales en position, c'est parti pour une belle ascension de nuit, le long du torrent en furie "Kander". Sous un ciel étoilé et une belle lune, l’arrivée au spot de bivouac nous laisse entrevoir à 360°, la silhouette de hauts sommets. Le réveil nous promet un spectacle à la hauteur de l'effort qui nous attend !
Après une courte nuit perturbée par la vie sauvage, les sommets se dévoilent doucement avec l'aube. Une fois le camp levé, notre premier objectif sera de trouver un coin tranquille pour limiter notre chargement. Quelques arbres en retrait du chemin feront rapidement l'affaire pour accrocher : tente, duvet, matelas…
Deuxième étape : l'eau ! Au regard du dénivelé et de la chaleur attendue, quelques litres seront nécessaires. Les cours d'eau à proximité sont assez chargés en sédiments, nous préférons attendre un torrent indiqué sur la carte plus haut. Nous longeons alors la moraine en direction du col Zackengrat qui doit nous permettre d'atteindre la crête à suivre pour rejoindre le Balmhorn. Col qui est d'ailleurs bien blanc, avec une belle langue de névé. Cette dernière, vue d'ici, me semble particulièrement abrupte, voire infranchissable. Olivier me rassure sur l'impression de "mur", qui va s'estomper en s’approchant. Il en profite pour nous sensibiliser à l'importance de la gestion du temps et de notre vitesse d'ascension.
Au fil de nos pas, le paysage change. Nous évoluons à présent dans un environnement entièrement minéral. Le ruisseau se faisant attendre, ce sera eau de glacier pour tout le monde !
D'ailleurs, ça y est ! Sans prévenir, nous marchons sur le glacier ! Il est couvert de couches de roches plus ou moins épaisses. Les équipements d'alpinisme ne sont pas encore nécessaires mais attention, la frontière entre l'adhérence et la glissade se rapproche !
Nous arrivons à présent au bord du névé, signe que les crampons peuvent prendre du service. Bien aidé par Olivier, je les fixe solidement à mes chaussures. Le casque en place, il est temps de repartir. La marche avec des crampons aussi imposants est une première. L'accroche dans la neige est incroyable et la progression se fait sans appréhension, malgré la pente. Je suis habitué à faire de grands pas, ce que Olivier repère rapidement. Il me conseille de réduire la foulée pour ne pas surchauffer les jambes et me donne quelques techniques de progression, notamment en croisant les pieds. Cela m'aide pour l'ascension.
Le cœur est à un régime élevé, certainement les premiers effets de l'altitude. Le col approche, la fin du névé aussi, signe que nous pouvons ôter les crampons et aller contempler la vue. Splendide ! Mont-Blanc, Cervin, Mont Rose : que de grands noms !
Rapidement, il devient évident que notre fatigue physique de cette intense sortie ne permettra pas d'atteindre le sommet. La progression continue sur l'arête, durant quelques centaines de mètres, puis nous rebroussons chemin.
Les crampons aux pieds, nous ferons deux cordées. Un petit apprentissage de la technique de descente est nécessaire, mais reste assez naturelle, en enfonçant bien le talon en 1er. La descente se fera rapidement et sans chutes.
Une petite zone de progression sur glacier (évitée à la montée) me permettra d'appréhender une autre technique (mais qui rend la difficulté plus grande) : le pied doit être posé parallèlement à la glace, afin d'utiliser l'ensemble des pointes.
La zone est à présent libre de neige. Les cordées s'effacent. La longue descente dans les pierriers commence. Il faut déjà repartir de notre belle parenthèse alpine, le train retour ne nous attendra pas.
J’ai vraiment apprécié cette première course d'alpinisme. Elle en appellera d'autres.
Merci à l'ensemble de notre petite équipe pour l'organisation de cette sortie.
Cette expérience était vraiment plaisante et pleine de bienveillance.