Carnet de route
Grande randonnée et indigestion de pâtes des Séniors dans les Dolomites…
Le 21/06/2021 par Jean-Paul Level
Toujours en quête de grands espaces et de nouveaux buts de randonnées, les « Séniors du CAF de Belfort » avec leurs « 70 ans au compteur » bien tassés, ont déjà bien écumé les grands itinéraires des principaux massifs du nord au sud des Alpes. Le dernier grand itinéraire effectué avant que la COVID vienne contre-carrer nos projets en 2020 était le parcours Chamonix - Côte d’Azur. En passant plus à l’ouest que le tracé direct par le GR5, en enchaînant sur trois années consécutives Chamonix - Grenoble, puis Grenoble - Sisteron pour terminer par Sisteron - Grasse en 2019 et sous la canicule…
Cette année, changement complet de cible avec une grande envie de découvrir les Dolomites, en espérant que l’évolution de la pandémie soit favorable pour autoriser une escapade à l’étranger… Daniel, notre GO qui a toujours au moins 10 itinéraires d’avance, envisageait de parcourir l’Alta-via n°1 qui traverse le massif des Dolomites du nord au sud dans son intégralité. Trajet donné théoriquement en 11 jours, ramené à 7 pour avoir des étapes bien « consistantes » … Dès l’annonce de l’assouplissement des règles sanitaires, Daniel et Jean procèdent à l’affinage du parcours. Il faut équilibrer les distances et les dénivelés quotidiens, et surtout tenir compte des hébergements disponibles, tâche facilité par les interventions d’Alain auprès des gardiens de refuges, aussi à l’aise en allemand qu’en italien, car dans la partie nord de l’Italie frontalière de l’Autriche, c’est plutôt la langue de Goethe qui prévaut.
Le 21 juin, ce sont donc 8 Séniors tous munis de leurs « pass sanitaires » et d’un certificat supplémentaire spécifique à l’Italie qui prennent place dans le minibus pour rejoindre Dobbiaco, point de départ de notre périple. A aucun moment ces documents n’ont eu besoin de sortir du sac, malgré le passage successif de trois frontières !!!
Dobbiaco (ou Toblach en allemand) est une charmante bourgade de montagne, porte d’entrée nord du massif des Dolomites. On y trouve de nombreux magasins de sport et un nombre incroyable de loueurs de vélo, car en Italie aussi, c’est l’engouement pour la petite reine, plus spécifiquement le VTT à assistance électrique. Heureusement, il y avait aussi des brasseries où les bocks de bières étaient de belle contenance…
Le lendemain matin, transfert en autobus jusqu’au lac de Braies, notre point de départ pédestre. Lieu très touristique qui fait penser d’emblée à l’ambiance des montagnes rocheuses canadiennes, avec un lac aux eaux bleu-vert et des falaises impressionnantes qui le dominent.
Nous nous mêlons aux touristes nombreux sur le chemin des rives du lac. %ais premier avatar, je tombe à l’eau en voulant faire un travelling vidéo arrière mal contrôlé… L’appareil photo et le smartphone sont sauvés in-extremis. L’objectif de l’appareil photo en portera les stigmates plusieurs jours avec un voile de buée interne donnant un bel effet de flou artistique, cependant pas extra pour faire ultérieurement un film… Pas de souci, Jean me prête le sien et en plus, on a le même modèle !!!
Très vite, nous nous retrouvons presque seuls sur le sentier qui monte dans des éboulis, puis dans des névés avant de basculer sur un grand plateau où une halte s’impose à la terrasse bien ventée d’un refuge intermédiaire judicieusement placé. La table est vite garnie de belles assiettes de pasta arrosées de bocks de bière vite épuisés… Puis nous reprenons notre marche dans un cadre géologique remarquable fait de strates calcaires empilées très impressionnantes avec des saignées locales de couleur ocre rouge. Des « occlusions de cobalt » suppute Alain, notre expert géologue, mais on n’a pas été vérifier…. Cette première journée se termine en arrivant par le haut au refuge de Sennes, alimenté en électricité par une belle éolienne à axe vertical. Evidemment, la réhydratation s’impose, mais pas qu’à la bière et notre première tournée de Spritz nous ravit, juste avant… un plat de pâtes !!!
La deuxième étape est assez copieuse avec 20 km et 1100 m de D+. Dès le départ, nous empruntons une piste d’atterrissage herbeuse à proximité du refuge. Les Séniors se sentent pousser des ailes et se mettent en formation comme la patrouille de France, mais pas assez de portance et cela se termine comme du temps des balbutiements de l’aviation… S’en suit une descente de plus de 600 m de dénivelé par une piste de 4x4 où il vaut mieux craboter le différentiel central et ne pas être trop sujet au vertige… Avant de remonter par une longue ancienne moraine, jusqu’à un plateau assez accessible, dans un cadre majestueux. Un beau refuge presque luxueux nous tend les bras, nous ne manquons pas de tester les différentes spécialités de la carte… Malgré un redémarrage est laborieux, les chemins sont plutôt faciles car presque carrossables. Mais ce serait trop cool d’y rester et sur ma proposition et après une âpre concertation, nous empruntons une variante de l’Alta-via n°1. Celle-ci passe par un col enneigé très encaissé qui nous a fait découvrir une descente spectaculaire dans un long éboulis coincé entre deux falaises de calcaire presque verticales. Nous longeons un aménagement du sentier fait de murets en troncs d’épicéas assemblés, parfois sur un mètre de haut et disposés en zig-zag sur des centaines de mètres, afin de stabiliser le chemin qui serpente au milieu d’un long pierrier bien pentu… On imagine le boulot de ceux qui ont fait cette consolidation !!! En bas, c’est le très accueillant refuge Scotoni qui nous héberge, on y retrouve les petites randonneuses belges sympas croisées la veille, et on déguste notre deuxième Spritz (et pas le dernier !!) avant de regarder un match de l’Euro de Football opposant la France au Portugal (2 partout).
Après une nuit confortable, la troisième étape ne sera pas une étape de tout repos avec 19 km et 1400 m de D+… Montée dans une très longue combe enneigée (encore une variante par rapport au tracé initial) qui débouche au pied du refuge Lagazuoi accessible par téléphérique. Par conséquent on retrouve beaucoup de randonneurs, bien que la météo change et qu’il y ait beaucoup de vent, attirés également par les vestiges de la 1ère guerre mondiale nombreux dans le secteur. C'est que la toute jeune Italie devait se protéger des tentations hégémoniques de l'Empire Austro - Hongrois pendant qu'on creusait des tranchées en France. Ici, pour compléter le fragile rempart des montagnes, on a creusé des tas de tunnels traversant dans les falaises. Le Mont Lagazuoi (2700 m) en est truffé. Selon la stratégie militaire en vogue chez les « Alpini », il fallait un trou d'un côté pour tirer sur l'ennemi du nord, et un trou au sud pour se carapater au cas où... Pour aller plus vite, c'est ici qu’ont été inventé les premières via ferrata.
Après une longue descente jusqu’au col Gallina, nous remontons vers le site d’escalade réputé des Cinque Torri, où nous nous faisons cueillir par un bel orage, heureusement et quelle chance, juste à proximité du restaurant d’altitude Scioattoli où nous attendons que la pluie cesse…Bien entendu, sans manquer de nous restaurer !!! Il y a encore une belle bambée en forêt avant de rejoindre notre premier refuge appartenant au Club Alpin Italien (Croda da Lago) juste pour l’heure de l’apéro… au Spritz !!! Repas agréable avec de la polenta pour changer des pâtes. Notre attention est attirée par une carte très fournie de différentes grappas aromatisées, servies bien alignées sur un ski de plus d’un mètre …. Elles ne résisteront pas longtemps à notre curiosité gustative !!!
La quatrième étape, un peu moins physique, emprunte des grands sentiers et offre de magnifiques points de vue sur des massifs bien individualisés. Le Beco de Mézodi et le Monte Pelmo, dont nous nous rapprochons en passant au pied des grandes cathédrales de calcaire dolomitique, dont la caractéristique chimique (carbonate double de calcium et magnésium) a été découverte au XIIIe siècle par le géologue français DEODAT de DOLOMIEU et a donné son nom à la région.
Une première au cours de cette étape, le « pastis de 11 heure » qui attendait tranquille au fond du sac de Jean-Marie… nous n’en avons pas abusé, quoique la rencontre surprenante de vaches de race montbéliarde dans ces parages un peu plus loin, aurait pu nous faire penser le contraire. La fin de l’étape se fait avec un train d’enfer (montée à plus de 600 m/heure) pour rejoindre le refuge Sonino al Coldai, car Daniel tout énervé par des nouvelles contrariantes concernant sa piscine… avait besoin de se défouler !!!
Nous voilà arrivés dans le fameux massif de la Civetta, réputé pour ses belles voies d’escalade et ses via-ferrata. Nous le découvrons en longeant sa longue face nord dans une ambiance très minérale avec succession de traversées de pierriers et de névés. Nous débouchons sur le cirque ouest de ce massif, avec des monolithes de plus de 800 m de paroi verticale tel que la Tour de Venise au pied desquels se niche le refuge Vazzoler où nous faisons halte pour un bon plat de pâtes… On ne peut pas oublier que nous sommes en Italie !!! L’étape est encore longue et l’itinéraire emprunte un chemin interminable souvent en dévers. Nous cheminons au milieu de pins rabougris qui ont des racines tortueuses et proéminentes pendant des kilomètres. Il faut lever les genoux pour les enjamber et pour des carcasses percluses d’arthrose comme les nôtres, c’est dur… On n’en voit pas la fin d’autant que le refuge Bruto Cariestato se fait vraiment désirer. Quelle récompense quand nous tombons nez à nez avec quelques orchidées « Sabot de Vénus », une plante protégée que l’on voit très rarement. Le refuge est sympa malgré les « piaules » très exigües, les douches capricieuses et comble de déception, ils sont en panne d’Apérol !!! Pas de Spritz ce soir, tant pis, on prendra du Prosecco brut !!!
Pour la 6éme étape, on mesure bien l’effet d’avoir segmenté l’itinéraire en 7 étapes au lieu de 11 en théorie pour l’Alta-Via n°1. 10 h de marche continue, 1300 m de D+ et 1500 m de D- !!! L’étape est variée avec de beaux sentiers en balcon en levant haut les genoux au risque de se râper soit sur des rochers (et le calcaire c’est abrasif !!), soit sur ces satanées racines, mais au moins les pins ne risquent pas de s’envoler. C’est la partie de notre périple la plus bucolique, beaucoup de fleurs, et même encore du muguet bien que le 1er mai soit passé depuis 2 mois… Des pauses réhydratation sympathiques dont une dans un petit refuge (Somariva al Pramperet) un peu à l’écart de notre itinéraire et que Kiki et Jean-Marie ont bien failli ne pas rejoindre, car ils étaient partis devant comme des boulets mais pas dans la bonne direction... Une fois la ration de pâtes habituelle bien calée au fond de nos estomacs, une très longue grimpette traversant de beaux névés nous attend jusqu’à un promontoire rocheux vers 2500 m avec une vue panoramique sur toutes les Dolomites. Coup d’œil circulaire qui nous refait prendre conscience de l’étendue de ce massif et de sa richesse en mini massifs indépendants qui forment un gigantesque puzzle. L’arrivée au petit refuge Pian de Fontana est tardive car c’est presque 1000 m de descente en zig-zag dans des pentes herbeuses qui nous attend. Ce soir, pour la première fois, nous serons dans un seul et grand dortoir situé dans une petite dépendance du refuge, et nous utiliserons enfin nos duvets que nous trainions jusqu’à maintenant sans les avoir jamais sortis du sac… Pourtant, cela aurait dû être la règle générale vis-à-vis des consignes sanitaires….
Il faut bien une dernière étape, et la nôtre nous conduit dans un village permettant de reprendre deux bus successifs pour nous ramener à notre point de départ 100 km plus au nord. Mais auparavant, une longue descente nous attend dans un vallon qui porte les stigmates des avalanches de cet hiver et par moment, on se croirait à Verdun après la grande guerre de 14-18. Puis 10 km sur une petite route desservant des chalets isolés parcourue à vive allure car on craignait de rater le bus, ce qui a d’ailleurs failli arriver mais pour une autre raison : grosse frayeur car l’arrêt de bus avait été déplacé suite à des travaux et les infos recueillis étaient très contradictoires… On a eu quelques sueurs froides car à quelques minutes près, nous loupions le bus pour rejoindre Cortina d’Ampezzo, puis Tobbiaco et son auberge de jeunesse très confortable.
Le lendemain, il était prévu de faire le tour des célèbres Tre Cime di Lavaredo, mais comme non seulement la route d’accès n’était pas encore dégagée, mais qu’en plus le temps était pluvieux, nous avons décidé un retour anticipé, en incluant deux stops touristiques : la vieille ville d’Innsbrück et l’imposante abbaye d’Einsiedeln au luxe baroque exubérant, dans le canton suisse de Schwytz.
Globalement, nous avons beaucoup apprécié ce raid pour la découverte d’un massif calcaire impressionnant par ses paysages et sa dimension (le Vercors, la Chartreuse et le Jura à côté, font piètre figure…), la qualité des hébergements et leur densité ce qui a permis de manger à table tous les midis. La beauté et l’intérêt du parcours, la météo qui excepté un orage sporadique a été très agréable, et une bonne ambiance dans le groupe. Nous avons rencontré beaucoup plus de randonneurs que dans nos périples précédents car le massif est très accessible (malgré un balisage assez folklorique), avec beaucoup de pistes pour l’approvisionnement des nombreux refuges en 4x4 et pour les VTT. La grande fréquentation de cette montagne fait que nous avons vu très peu d’animaux.
En tout cas, on s’est promis de revenir, en parcourant une des 4 autres Alta-via, dont une plus engagée, et de se frotter à quelques-unes des via-ferrata historiques du massif.
Les participants étaient : Alain BERTRAND, Marc BELOT, Jean CHEVALLIER, Christian GAGNE, Gérard GRUNBLATT, Jean-Marie FREUDENREICH, Daniel LEPAUL, Jean-Paul LEVEL

